La vie de Sainte Thérèse d'Avila
"Toutes choses de Dieu me donnaient grand contentement, mais celles du monde me tenaient attachée".
Ses frères s'étonnaient qu'elle eut, si jeune, tant de passion pour la guerre et la gloire.
Fini les histoires guerrières dans la maison des Cepeda : avec son frère Rodrigo, son aîné de quatre ans, Teresita lit maintenant la Vie des Saints. Elle ne rêve plus d'être Jimena Blasquez mais Sainte Catherine. Car les martyrs surtout l'exaltaient, et le sang versé par Saint André, Saint Sébastien, sainte Ursule et ses compagnes les onze mille vierges, se confondait pour elle avec leur auréole.
Le dimanche, en la paroisse de San Juan, elle entendait tonner les prédicateurs contre les hérétiques dont les écrits commençaient à se propager en Espagne, mais peut-être plus encore contre la tiédeur des chrétiens ; l'image des damnés se tordant dans les flammes éternelles la poursuivait jusque dans son sommeil.
Teresita estimait que le martyre "achetait à bon marché" la présence de Dieu ; non qu'elle aimât DIeu, mais elle souhaitait jouir des biens célestes que la Vie des Saints lui avait révélés.
Les images réalistes de l'art sacré lui montraient bien, dans toute leur horreur, les supplices, mais cela ne faisait qu'exaltait son imagination. Souffrance vive, mais courte, en échange de la gloire éternelle.
La gloire (1515-1528)
Il lui sembla en ce temps qu'elle aimerait à être religieuse, mais moins que les choses précédentes, moins que vierge et martyre, ou solitaire du désert : la claustration ne contentait pas son goût du merveilleux.
Les romans de chevalerie : ces histoires "sont pièges que tend le démon aux tendres sentiments des damoiselles et des garçons frivoles". Ces lectures faisaient elles autre chose que de la divertir, au cours de longues maladies, ou après une journée consacrée au ménage et aux enfants ? En était-elle moins pieuse, de manière moins austères ? Négligeait elle ses devoirs ? Certes non ! D'ailleurs, les arguments ne faisaient point défaut, qui montraient ces livres d'imagination comme "très nécessaires pour exalter les courages à l'exercice des armes, et pousser les esprits virils à imiter les actes des anciens.. Les vertus et la gloire y fleurissent...".
Comme la Gloire, l'Amour n'a-t-il de prix qu'à condition d'être "pour toujours" ? Cette pensée préoccupe parfois Teresa, qui grandit.
Doña Beatriz, la mère de Teresa, tomba malade. C'est à peine si elle pouvait se trainer, aux heures où le soleil était encore bon, jusqu'aux colombiers qu'elle aimait tant. Teresa la soutenait et ne s'effrayait pas qu'elle fut si légère. Le 24 novembre 1528, elle écrivit le testament d'une âme sereine : "Je remets mon âme au Dieu tout-Puissant qui l'a créée et rachetée de son Précieux Sang. Je remets mon corps à la terre de laquelle il l'a formé...".
D'un cœur toujours naïf, mais déjà affligé, avec des larmes, elle supplia la Vierge Marie de lui servir de Mère.
L'amour (1528-1531)
Les romans de chevalerie la passionnaient toujours.
Ces idylles n'étaient point chastes : les très nobles damoiselles se glissaient sans façon, et illégitimement, dans le lit des chevaliers. Primait, dans ces récits, l'exaltation de l'esprit chevaleresque. Teresa était trop sensée pour croire à la réalité de faits extravagants, mais le sens de la grandeur, celui de l'honneur, l'amour de la gloire, tout cela était vrai, l'essence des traditions de son pays. Teresa n'avait pas peur mais elle n'eut pas admis d'être montrée du doigt, ni épousée par devoir. Si elle eut à se défendre d'entreprises audacieuces, elle le fit par un double instinct de pureté : celui de son corps et celui de sa renommée. On oublie trop que si l'attrait sexuel est un instinct naturel, l'effroi d'une fille vierge devant les exigences de l'homme est tout aussi instinctif.
Depuis deux mois, elle allait de fête en fête, et c'est le 26 juillet que Don Felipe devait recevoir "l'habit de galant". Qu'advint il ? Le 13, Don Alonso enfermait Teresa au couvent. Dona Teresa avait 16 ans et 4 mois lorsqu'elle fut ainsi conduite au couvent des Augustines de Notre-Dame de Grâce.
"Pendant les premiers jours, je fus fort affligée ; mais j'étais déjà lasse des vanités, je n'offensais Dieu qu'avec crainte, et je m'efforçais de m'en confesser le plus tôt possible".
L'idée d'être religieuse ne la traversait point, elle lui était même "extrêmement ennemie" mais elle se réjouissait de vivre en un milieu où la sagesse et la piété étaient aimables.
Le Seigneur, qui la voulait sienne, lui enleva cet amour, et lui donna le désir de tout quitter. Elle n'était à l'époque poussée que par le désir de se sauver, et de chercher le meilleur moyen d'y parvenir ; il lui semblait qu'enfoncée dans le monde elle oublierait de s'efforcer d'obtenir ce qui est éternel.
Cette flamme si humaine que le Seigneur éteint avant de s'emparer d'un cœur trop récemment déçu, n'est-ce point là ce que vécut Teresa aux environs de sa seizième année ?
Le premier coup de heurtoir (1531-1533)
Maria de Briceno lui fit à son tour des confidences : "Elle me conta comme elle en était venue à se faire religieuse après avoir lu ce que dit l'Evangile : Il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus, et me parla de la récompense qu'accorde le Seigneur à ceux qui quittent tout pour lui".
Mais son orgueil allait être mis à l'épreuve. Elle avait toujours été la plus belle, la plus aimée...on vantait son goût, son intelligence, son esprit. Pour la première fois à Notre Dame de Grâce, elle éprouvera douloureusement qu'une forme de sensibilité lui manquait ; une grandeur, une perfection lui échappaient : "Si je voyais l'une de mes compagnes en venir aux larmes dans la prière, ou quelque autre vertu, je l'enviais beaucoup ; car mon cœur était si dur que j'aurai pu lire la Passion tout entière sans verser un pleur : et cela m'affligeait".
Elle s'étonne de trouver dans une humiliation un enivrement : c'est qu'elle a découvert, cette âme aventureuse, un monde illimité, plus vaste et plus riche que les terres de l'outre-mer, plus dur à conquérir : son monde intérieur. En Teresa, ce point sensible était touché : elle savait que l'amour de l'homme, l'amour pour l'homme, ne dure pas "toujours, toujours".
Dans ces conditions, elle hésitait à se marier. Et déjà elle songeait qu'elle se déciderait peut être à prendre le voile, mais sans renoncer totalement au monde : jamais elle n'entrerait, par exemple, à Notre Dame de Grâce, où douze religieuses observaient l'abstinence, le silence, la mortification.
Si elle n'avait pas eu le malheur de naître femme, elle n'eut pas hésité à opter pour l'état religieux, car il lui eut été licite d'aller évangéliser ces pauvres gens. Ce qui l'inquiétait encore dans la vie monastique, c'était cette porte close "pour toujours", l'angoisse de se dire que le seul fait de renoncer à vivre lui causerait peut-être une telle amertume qu'elle perdrait aussi le ciel.
Teresa ne trouva pas à Castellanos la preuve qu'elle obtiendrait le bonheur dans le mariage, à défaut de perfection spirituelle. Allait-elle désormais ne plus se plaire nulle part, voir en tout quelque chose de vain ? Elle s'en voulait un peu de n'être pas entièrement satisfaite. Nulle joie terrestre ne pouvait donc durer toujours ; seule semblait devoir être éternel le remords d'avoir fait erreur. Elle songeait à la joie de la terre, arrosée, s'effrayait en même temps de l'aridité de son âme, mais se rappelait que Jésus est un "bon jardinier".
Un mariage de raison (1533-1536)
Tout n'est rien, le monde est vanité, la vie est brève ; je me mis à craindre d'aller en enfer si je mourais, et bien que je ne fusse pas encore encline à me faire religieuse, je vis que c'était l'état le meilleure et le plus sûr ; ainsi peu à peu, je me décidais de me contraindre à entrer au couvent.
Elle sait désormais que sentiments, désirs, goût, attitudes, ce qui parait être notre caractère et qui n'est qu'un ensemble de tendances que l'exercice et l'habitude peuvent vaincre, ou développer, sont soumis au contrôle de la volonté. Dieu a crée l'homme libre de choisir la perfection. Ce qu'il veut, c'est cette décision. Pour tout faire lui-même, il n'attend que notre décision. Le Seigneur aide ceux qui décident à servir pour sa gloire.
Tout est déjà fait lorsqu'une âme décide de faire oraison.